mardi 6 octobre 2015

· · · — — — · · · Otoño en détresse

C'est l'automne et on est là, comme les musiciens de première classe du Titanic, on assiste au désastre, sans colère, avec fatalisme, presque consciencieusement. J’oserais même dire, à la réserve près qu'on ne va pas en mourir, qu’on fait face à la débâcle avec une certaine dignité. Ça fait 3 jours qu'on est englouti dans le dramatique naufrage ganadero du plus important paquebot, pardon, ruedo, du monde. Avant chaque course, les plus en forme d’entre nous brandissent des pancartes comme autant de SOS. Des tas de revendications saluées par de belles ovations, ça oui. Mais pas un toro qui déboule en piste propre à sauver notre aficion en détresse. 

Les novillos sans tempérament de Cesar Rincon (qu'on n'aurait aucun mal à applaudir dans une arène de deuxième catégorie) se tenaient debout par un miracle d’équilibre et n'ont pas provoqué le moindre soupçon d'émotion en piste. Filiberto et Alejandro Marcos ont hasardé quelques faenitas avec plus (Marcos) ou moins (Filiberto) de bonheur… Joaquin Galdos n'a pas convaincu.
Je ne sais plus qui a dit "Que l'important soit dans ton regard et non dans la chose regardée"... Mouais.  Faudrait voir à pas pousser la blague plus loin que l'aphorisme non plus.

Les choses empirent le lendemain où l'on vit sortir un lot calamiteux du Puerto de San Lorenzo (accompagné par un cousin de Valdefresno tout aussi mauvais) pour l’improbable mano a mano Urdiales vs. Lopez Simon. Mansos, sans race, douillets, fuyants, faibles au mieux, impotents au pire. Des toros de poche qui, décorés d'une grande porte, nous seront fatalement infligés l'an prochain. A bien y réfléchir, la grande porte n'est pour rien dans cette affaire et Fraile peut bien continuer à fabriquer ses toros sur le même modèle puisqu'il réussit à les fourguer tous les ans. Pourquoi pas d'ailleurs ? Puisque, à chaque fois, nous revenons...
Face au 3ème, un utrero (à moins bien sûr que le bicho soit né le 1er ou le 2 octobre 2011), Urdiales construit minutieusement sa faena, chaque nouvelle passe résultant de la précédente. C’est plein de finesse, sans apprêt. L’ensemble n’est pas assez puissant pour améliorer dans la longueur cet adversaire au genio saillant, mais Diego vient de nous rappeler avec rigueur, technique, et simplicité, pourquoi il est un grand torero. 

Lopez Simon quant à lui a ouvert la Grande Porte... Une Grande Porte revendiquée ou décriée, selon que l'on a ou non été sensible au toreo très conceptuel du jeune homme. Une Grande Porte importante ou dérangeante selon qu'on lui a ou non pardonné l'oreille que le palco lui a, de guerre lasse, attribuée à son premier. Sérieusement blessé par ce premier opposant, et scénographiant savamment ses allers et retours à l’infirmerie, Lopez Simon est crânement revenu pour torée ses deux derniers adversaires. La deuxième oreille est tombée après une foutue énorme série à droite et une épée extraordinairement aguantée en recevant le toro mais... est-ce que c'est ça une Grande Porte à Madrid ? Plus tard, j’ai appris que le jeune prodige avait été d’une toreria géniale. Peut-être n'ai-je pas su l'apprécier… N’empêche que, en fin de série, le taureau allait toujours là où il ne fallait pas. Se mettre dans un sitio de ouf, se "coloquer" là où personne n'ose aller et, par principe, ne pas rectifier la position, c’est très bien, mais, le bateau a beau sombrer, ça ne me chavire pas.

Avec les Vellosino, je crois bien qu’on a touché le fond. Ce bétail, c'est la lie du campo. Gonzalo Caballero, soucieux de montrer sa bonne volonté, s’avère étonnamment digne et sagace avec son toro d’alternative. Il sera très différent au sixième… Eugenio de Mora est peu inspiré mais très sérieux malgré ses postures cocasses. Uceda Leal est peu inspiré tout court (mais il met de belles épées). 

Finalement, notre Carpathia à nous, ce fut la (mala) casta des Adolfo. Deux heures de danger qui nous ont sauvés. Un rêve presque oublié pour les aficionados. Un cauchemar pour les hommes aux bas roses… Des toros de combat, tous différents les uns des autres, compliqués, fuyants, avisés, imprévisibles, à la charge incertaine (sauf le dernier dont la charge fut plus franche - et le cinquième qui ne tenait pas sur ses quilles) et qui se retournent à la vitesse de la lumière. Des toros qui prenaient un acompte sur l’existence des hommes à chacune de leurs erreurs. Une course entretenue de bout en bout par la multiplicité des complications et encadrée de chaque côté par deux preux toreros. 
Robleño parait avoir pris 20 ans entre 2012 et aujourd’hui... Il est encore présent dans des courses très dures comme celle de ce dimanche, mais de manière bien fugace, et on est tristement tenté de penser qu'il devrait se couper la cadenette avant qu'on oublie complètement quel torero il a été.
Paco Ureña a un déconcertant mouvement de poignet qui lui rabat la muleta dessus, comme une invitation explicite à la bousculade. Naturellement, ça ne manque pas et son affreux premier adversaire chope fissa tous les défauts qu’il n’avait pas à l’origine. Le sixième et dernier toro de l’envoi est à l’affût de l’homme mais moins pervers que ses frères. Le murciano s’arrime et, pendant quelques secondes, on se dit que, dans l’histoire du monde, il y a eu le feu, la roue, et puis les naturelles de Paco Ureña. A l’épée tout est perdu, fors l'honneur. 
L’autre grand, très grand monsieur de la tarde, s'appelle Rafael Rubio Lujan. Son premier combat fut sans aucun doute le plus poignant. Face à l’adversité du jour, reconnaissons que la délicatesse et l'élégance n'étaient pas de mise. Il fallait le courage brut entendu par la tauromachie pour dominer la partie. Rafaelillo a eu cette détermination implacable sans pourtant jamais prendre totalement le dessus. Mais il a fait exactement ce qu’il fallait. Ca fight, c'est violent, c'est du toreo de tranchée, c'est de la "gangsta faena". C'est pas beau. Mais qu'est-ce que c'est bon !

Ayé. On peut reprendre une respiration normale. Les dernières naturelles se sont évanouies dans le ciel d'automne. Rafaelillo et Ureña vont bien dormir ce soir. Moi aussi. Les toros braves, je ne sais pas, mais les toros qui font peur existent encore. Quant aux toreros qui les affrontent, ils existeront toujours. Les souvenirs et les regrets aussi.

Zanzibar

4 commentaires:

  1. Hola Zanzi
    Je te trouve assez dure avec lopez simon (et je veux bien qu'on se scénarise contre l'avis des médecins mais...)
    La grande porte n'a été pour moi qu'accessoire et s'est effacée derrière l'émotion
    Urdiales m'a paru assez décontenancé par ces Puerto de San Lorenzo sans caste ni qualités
    J'ai pas super aimé les Adolfo si ce n'est effectivement par le danger que leurs mauvaises manières ont amenées - Rafaelillo a été très bon au 1er auquel il a réussi à tirer quelques muletazos très centrés...les naturelles de face d'Ureña un très grand moment de tauromachie. Robleño a été aussi transparent que son costume est blanc.
    Je ne comprends toujours pas comment les Vellosinos peuvent être programmés dans une telle arène. Caballero a été très digne à son toro d'alternative , le reste à oublier surtout Uceda Leal.
    J'ai bien aimé l'envie démontrée par les jeunes lors de la non piquée face à des Jandillas de peu de qualités intrinsèques.
    Heureusement je n'ai pas vu la novillada..
    Je me demande ce que les vétérinaires madrilènes sont devenus car certains toros sortis était simplement indiqnes de Las ventas (y compris le 1er Adolfo d'Ureña).
    Besitos, hasta luego!

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  2. Merci pour tes remarques Bison et à bientôt !
    NB : quoi que je pense de la Puerta Grande de Lopez Simon, je lui reconnais l'immense mérite d'avoir fait batailler les aficionados après la course ;-)

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  3. Bonsoir,
    J'ai trouvé Ureña torerazo dans ses naturelles de face mais aussi dans une série à droite.
    Je trouve Lopez Simon surévalué et je ne comprends pas cette farouche obstination à le comparer à Jose Tomas...à moins que ce soit tout bêtement une opération mercantile de laquelle nous serions pris pour des moutons de Panurge. Toutefois comme Bison Futé je n'oserais pas écrire que ses allées et venues entre piste et infirmerie étaient scénarisées, mais allez donc savoir où se cache le Malin...
    B.

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  4. Et la maline, où se cache-t-elle ?

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